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Mauvaise année pour les tigres - Mauvaise année pour les tigres

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Mauvaise année pour les tigres, par Bruno Philip


L'année du Tigre a bien mal commencé. A peine les fêtes du Nouvel An chinois étaient-elles terminées, qu'un scandale est venu illustrer le sort misérable du redoutable et superbe Panthera tigris, l'un des douze animaux du zodiaque chinois. L'affaire a fait du bruit médiatique et a donné du grain à moudre aux internautes : le 12 mars, la presse a rapporté que, ces trois derniers mois, douze tigres sibériens d'un zoo de la province du Liaoning, au nord-est du pays, sont morts de faim dans leurs cages. En novembre, dans le même zoo, deux félins affamés avaient tenté de dévorer un de leurs gardiens, gravement blessé.

Le responsable adjoint du bureau de la protection des animaux sauvages de la province, Liu Xiaogang, a dû reconnaître devant les journalistes que bon nombre des deux cents zoos chinois, hormis ceux des grandes villes comme Pékin et Shanghaï, n'ont souvent pas les moyens de subvenir aux besoins des animaux : "Beaucoup de zoos privés subissent de fortes pressions financières et la plupart n'ont pas assez de ressources pour nourrir leurs pensionnaires." Pire encore, a-t-il souligné : "Certains tigres sont confinés dans des cages trop petites où ils survivent sans chauffage et ne sont nourris que d'os de poulet." Quand on sait qu'un tigre adulte peut dévorer 10 kilos de viande par jour, on a une idée de ce qu'il peut ressentir devant cette maigre pitance.

Les autorités avaient pourtant, au début des années 1980, mis sur pied des programmes censés protéger le félin de son inexorable extinction en Asie. Des fermes d'élevage avaient été créées afin de tenter de garantir la survie des tigres. Selon les statistiques officielles, s'il y en a aujourd'hui environ 6 000 en captivité, ils ne seraient plus qu'une soixantaine à l'état sauvage - dans l'ancienne Mandchourie et les provinces du Yunnan, du Guizhou, du Fujian... Les tigres sibériens se réduiraient à une vingtaine d'individus dans les régions frontalières de la Russie. Quant aux "tigres de Chine du Sud", l'une des trois autres sous-espèces du pays, qui étaient encore au nombre de 4 000 dans les années 1950, personne n'en a vu depuis le début des années 1980. L'un des directeurs du World Wild Life Fund (WWF) en Chine, Zhu Chunquan, avait enfoncé le clou en début d'année en prédisant que, "si aucune mesure urgente n'était prise, il y avait de fortes chances que le tigre chinois encore à l'état sauvage disparaisse".

Le manque de fonds dévolus aux zoos n'est pas le seul motif d'indignation qui a agité la presse ces derniers temps : depuis longtemps, les organismes internationaux de protection des espèces menacées soupçonnent les responsables des zoos et des fermes de se livrer à un juteux commerce : la vente de pénis, d'os et de différentes autres parties du tigre est une affaire qui marche en Chine continentale, mais aussi parmi la diaspora des "célestes" en Asie du Sud-Est - Singapour, Thaïlande etc. La "liqueur" de tigre et autres produits dérivés de l'animal sont utilisés dans la médecine chinoise traditionnelle pour leurs vertus curatives. Sans oublier que ces mêmes dérivés sont supposés être de puissants aphrodisiaques. La République populaire a beau avoir signé en 1993 un accord interdisant le commerce international des os du tigre, les pratiques n'ont pas disparu au niveau local.

Selon le quotidien Les Nouvelles de Pékin, qui a cité anonymement un responsable du zoo du Liaoning où les tigres sont morts de faim, "il n'était un secret pour personne que le zoo produisait de la liqueur d'os de tigre"... Même accusation contre les fameuses "fermes d'élevage" : selon Mme Hua Ning, directeur de projet de la Fondation internationale pour le bien-être des animaux, "on a vu des cas où les responsables plongent les os des tigres morts dans l'alcool pour les vendre aux visiteurs". Elle va même jusqu'à penser que certaines de ces fermes "sont en train d'élever des animaux en espérant que, dans un futur proche, la Chine finira par renoncer à imposer l'interdiction sur la vente de produits de tigre". Sous-entendu : pour que le business continue, ou reprenne...

Le scandale a conduit les autorités à mener l'enquête : un officiel s'est rendu à la mi-mars dans le zoo où les tigres sont morts et a affirmé n'avoir trouvé aucune trace de production interdite de "vin d'os de tigre". Las ! Un gardien interrogé par la très officielle et très gouvernementale agence de presse Chine nouvelle (Xinhua) a affirmé que les os des animaux ont bien été conservés "pour faire des liqueurs données à des invités importants". Traduction : des membres du parti ou des officiels de poids. Le scandale aura toutefois eu des répercussions positives. La presse a annoncé que le zoo du Liaoning va recevoir des subventions de l'ordre de 1 million de dollars. Il était temps : sur le Net, certains se déchaînaient et osaient de douteuses comparaisons : "Une espèce protégée meurt de faim sans pouvoir s'exprimer ? Comme les Chinois qui, lorsqu'ils protestent, sont réprimés par le pouvoir ?" (signé d'un internaute du joli nom de "Long Serpent").

Pendant ce temps, l'année du Tigre bat son plein et, parce qu'elle est synonyme de force, certaines Chinoises respectent le vieil adage selon lequel une fille née dans l'année du gros chat risque d'être une femme par trop rugissante. Du coup, le taux de natalité dans Pékin a déjà sensiblement chuté depuis la fin février. En 2007, l'année du cochon avait été particulièrement féconde.

Le Monde.fr

Le 26 mars 2010